Telegraph-road

Blues pour un chat noir.


Elle parlait vite, elle voulait lui en dire le plus possible, elle voulait étouffer les silences et les secondes qui coulent et s'écrasent. Il la regardait. Ses commissures étaient toujours légèrement relevées, et le haut de son front était une lignée pure jusqu'au léger nez d'enfant qu'elle avait. Il regardait de nouveau ses lèvres. Il souriait. Il n'entendait plus, un silence brusque, répréhensible. Il voulait l'embrasser.

Elle marchait avec humeur, son sujet de discussion rendait ses gestes vifs. Il avait envie de rire, de la serrer dans ses bras, d'embrasser sa nuque, de la demander en mariage, de lui faire deux enfants, trois peut-être, et de rire encore aux éclats, toujours, parce qu'il l'entendrait à jamais parler vite et marcher avec humeur, cette moue insondable au coin des joues, ses joues rouges comme deux pommes tendres. Il imaginait la constellation que formaient ses grains de beauté sur sa peau de lait, et il en voulait partout et si peu à la fois, de peur que même eux, tacitement, les séparent de l'amour éternel. Ne faire plus qu'un, en marchant vite s'il le faut, mais ne faire plus qu'un. Il regardait ses mains. Sous la pression de l'index, le majeur se soulevait obliquement. Là aussi, il avait envie de rire. Il avait envie de rire pour rien, elle était là, à ses côtés, il avait envie de rire, pour ça, pour ses mains, pour ses lèvres, pour sa marche rapide et pour le silence qui se refermait autour de lui, comme tissé par des sentiments despotiques. Ses organes s'engorgeaient de sang pour crier qu'il était fou amoureux. Et il regardait ses yeux. Il trouverait une maison dans le Sud de la France, avec son chevalet au milieu du jardin décoré à l'anglaise, parce qu'elle aime les jardins à l'anglaise. Ses yeux de moire resplendissaient l'éther de son âme. De temps en temps, il se demandait comment Dieu pouvait faire des personnes si belles. Et il rigolait - quand même - discrètement. Il eut l'impression qu'elle ne parlait plus, mais il ne pouvait quitter ses yeux qui se posaient sur Paris, tendrement, embrassant la ville d'une douceur indicible. Elle se mit à fredonner un vieil air de Francis Cabrel.

L'embrasser.

Le silence pénétrant des rues romantiques le saisit et un frisson lui parcourut violemment l'échine. Elle ne fredonnait plus. Leurs pas froissaient les pavés plombés. Il avait peur du goût de ses lèvres, peur de ne jamais plus pouvoir s'en passer. En s'approchant de la Place des Vosges, un groupe de Jazz amateur jouait dans le square Louis XIII. Elle attrapa impétueusement sa main et l'entraina dans la proximité la plus impressionnante de la musique. Elle se mit à danser comme une enfant, et lorsqu'elle se mit à rire aux éclats, envahie de joie, il se mit à sourire stupidement. Il avait aimé une femme avant elle, et il avait longtemps pensé perdre la femme de sa vie ; mais la femme de sa vie était devant lui, et dans ce square, à ce moment précis, elle avait trois ans. L'envie soudaine de l'embrasser revint lui chatouiller les lèvres. Et si elle aime la ferme, il lui achètera un chien, un chat, des chèvres, des moutons, un cheval, un âne, une oie et même un lama. Il se demandait où les gens allaient, lorsqu'ils étaient pressés, tard le soir, dans le métro. Il se demandait à quels endroits pouvaient bien vivre les sans-abris, l'hiver à Paris. Il se demandait si les pigeons clignaient des yeux. Il se demandait si elle l'aimait. Et lorsqu'il leva les yeux pour les poser pour la dixième fois sur ses lèvres, elle s'était approchée de lui, si bien qu'il sentait son souffle chaud effleurer la moiteur de ses lèvres entrouvertes. Déstabilisé, il baissa les yeux. Elle souria, et de ses petits doigts, elle souleva son menton. Il la regarda, avec beaucoup d'hésitation. En s'approchant légèrement, elle déposa un doux baiser sur ses lèvres, court et innocent ; le baiser Jazzé du square Louis XIII un mercredi matin de juillet. Et elle se retourna rejoindre les trottoirs de la Bastille, marchant plus doucement, comme vaporeuse d'une magie délicate, les plis de sa robe bouffante claquant contre ses jambes nues. Lorsqu'il se décida à la suivre, il se décida également à passer le reste de sa vie avec la douceur de ses lèvres, la pudeur de ses baisers d'enfant, et ses robes qui volent et qui claquent comme des ailes d'oiseaux.

En se retrouvant derrière elle, il ouvrit les lèvres et les referma aussitôt, effrayé. Elle se mit alors à fredonner de nouveau une chanson. Un scooter pétarada sur le boulevard principal.
Et lorsque le silence revint, il avala péniblement et s'arrêta. Délicatement, il plia un genou au sol, le second perpendiculairement. Elle fredonnait toujours, effleurait parfois du bout des doigts les murs des façades.

"Je t'aime", cria-t-il.

Elle ne s'arrêta pas. Certains passants interrogeaient la scène du regard, d'autres s'arrêtaient pour avoir la fin. Alors il avala de nouveau et continua.

"Je veux t'aimer tous les jours de ma vie".

Elle se retourna soudainement, et surprise, lui demanda ce qu'il faisait, agenouillé de cette façon-là, en plein milieu de la rue. En levant la tête, elle aperçut une foule sur le trottoir de droite, un sourire niais tricoté sur chaque visage. Alors elle l'interrogea de nouveau, de ce regard mordoré d'une petite fée.

"Quand tu es en colère, tu penches toujours un peu la tête, du côté droit. Et aussi, tu as toujours les commissures relevées, même quand tu cherches à avoir le visage le plus furax du monde. Parfois, quand tu bois du thé, tu as le petit doigt qui se lève, comme une véritable anglaise. Et quand tu ris aux éclats, tu facilites soudainement la vie de quiconque l'entend. Tu es magnifique quand tu peins, mais je suis en train de me rendre compte que tu es encore plus magnifique lorsque tu fais la tête que tu me présentes à cet instant même. Je voudrais passer le reste de ma vie à prendre ton visage en photo, quand tu vis à trois cent à l'heure et quand tu dors ; quand tu fermes les yeux et quand tu les ouvres."

Un immense sourire accompagna la jeunesse de son visage ; elle n'écoutait plus. Elle sauta dans ses bras et ses chaussures sans noeuds se fracassèrent au sol.

Boîte à musique

No time to think

Par Lama le Mardi 24 août 2010 à 0:22
Merci pour la p'tite allusion au Lama, avouuue, t'as pensé à moi, hein.
Par Dylanou le Mardi 24 août 2010 à 10:26
Même pas en fait !
J'ai pensé à mon grand-père qui a longtemps dit et qui dit toujours qu'il aimerait avoir un Lama dans sa ferme. :)
Par thisiswhimsical le Vendredi 27 août 2010 à 23:39
Mon dieu, comme c'est magnifique. J'ai lu d'une traite -RAAARE!- avec cette envie au ventre de vite avoir la suite ! .. Je rentre de Paris, et j'ai tellement envie d'y retourner. Et je me suis imaginée cette scène dans la rue où j'ai logé cette semaine et.. Je veux une telle déclaration moi aussi. Je veux retourner à Paris, et vivre ça ! Vivre l'Amour.
C'est vraiment une histoire débordante d'amour.. Et j'aime beaucoup ça ! :).
 

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